Voici le joli mois de mai

Le titre que j’ai choisi pour cet article sert surtout à me rappeler que nous sommes en mai. Tout en moi semble plutôt croire que nous sommes en novembre : je mange des mandarines et des cacahouètes, et en me brossant les dents, l’autre jour, je me suis surprise à chantonner « C’est le p’tit âne de St-Nicolas ! ». En effet, la météo est bien grisâtre par ici, et je ne quitte jamais le bateau sans ma veste de pluie…

Les averses que nous affrontons en cette saison sont dignes du déluge. Heureusement que nous sommes en sécurité dans notre « arche » !

Mais je me languis de feux de cheminée et de bougies, juste pour réchauffer un peu l’ambiance - sans mentionner les bains de mousse… Pour couronner le tout, nous faisons face à une épidémie de grippe sur le bateau. Tout a commencé à l’étage 3 (celui de l’hôpital), avec nos patients. Quel casse-tête, pour les infirmières, de gérer les difficultés logistiques de la situation ! Des opérations repoussées, des gens à placer en isolement, toutes les interactions entre visiteurs et patients suspendues, etc. Sans parler des poux et de la gale qui ont choisi le même moment qu’Influenza, pour monter à bord ! Heureusement que jusqu’à présent, seuls les microbes de la grippe ont réussi à s’étendre aux autres étages du bateau… Chez les Valiton, pour l’instant, ce sont les femmes uniquement qui ont succombé au virus : Jeanne d’abord, ensuite moi, puis Sophie. Mis à part les maux de tête, de gorge, un peu de fièvre et un petit vomi, cela a surtout donné l’occasion pour de jolis moments « tranquilles, sous la couette, à regarder des films ensemble », ce qui n’était pas désagréable ! (Nous avons savouré ensemble « Interstellar » et « La Belle et la Bête ».)

Pour Jérémie, c’était moins cozy : durant plusieurs jours, il devait faire les allers-retours entre la cantine et la cabine pour apporter et puis débarrasser des plats matin, midi et soir pour ses trois Demoiselles malades… Mais il s’en est sorti comme un chef !

En parlant de Jérémie : il aura prochainement un entretien décisif avec le directeur du bateau ainsi que le responsable RH, pour savoir s’ils le voudraient dans le poste de « Directeur des opérations » pour l’année 2026-2027. Dans ce cas, nous réfléchirions à étendre notre service à une troisième année. Ce poste l’intéresserait, car cela constituerait clairement une responsabilité plus grande que celle qu’il a en ce moment. Il pense qu’il aurait des choses à apprendre, mais également des éléments à apporter à l’organisation dans cette position. Suspens, suspens… Est-ce que ça va pencher du côté « 2 c’est assez, 3 c’est trop », ou plutôt « Jamais 2 sans 3 » ?

 Nous avons surtout prié dans le sens que Dieu ouvre la porte, si c’est là qu’Il nous veut, ou la ferme, selon Sa volonté. Concrètement, nous sommes quand-mêmes très impatients de connaître la réponse – et un peu tendus aussi à l’idée de devoir annoncer une éventuelle 3e année loin des nôtres à nos proches. Pour l’un de nos enfants (pour ne nommer personne ;-)) cela serait aussi difficile – mais je fais confiance que Dieu ouvrira aussi des chemins nouveaux dans ce petit cœur, s’Il nous convainc de rester une année de plus. Affaire à suivre !

 En attendant de savoir ce que nous ferons en 2026, nos projets pour cet été se dessinent de plus en plus clairement : nous aurons la joie de passer un mois en Suisse (du 3 juillet au 5 août). Contrairement à ce qui a avait été prévu, nous n’aurons finalement pas besoin d’aller habiter à Riaz chez nos amis Karine et Mirco qui nous avaient si généreusement proposé leur maison durant leur absence. En fin de comptes, nous pourrons même habiter dans la nôtre durant toutes ces semaines, étant donné que nos locataires, Will et Ellie, seront à Leysin pour les camps d’été. Vous imaginez bien le bonheur que cela représente, de pouvoir nous sentir effectivement « à la maison » durant ce temps ! La chose dont nous nous réjouissons le plus, je crois, c’est de retrouver nos deux chats – après la famille et les amis, évidemment ! ;-)

A ce propos, je dois dire que la personne que j’ai le plus hâte de retrouver est ma chère Maman. Je suis tellement reconnaissante qu’elle soit toujours « bien là », alors qu’on s’était fait nos adieux en août dernier, pensant ne plus la revoir vivante… J’avoue que j’ai aussi un stress intérieur qui grandit face à cette situation, me rappelant que lorsque ma sœur était rentrée de Nouvelle-Zélande, en 2016, ils étaient arrivés deux mois après le décès de notre papa. Je n’aurais tellement pas envie de vivre cela avec ma maman… Les messages que je reçois de mes frères et sœur sont plutôt encourageants, son état ne semble pas se détériorer – et j’essaie de faire confiance qu’il y en a Un, là-haut, qui tient tout entre Ses mains.

 Cela me rappelle une chanson de mon adolescence que j’ai eue la chance d’entendre en live, à un concert, ici à Toamasina. En effet, le groupe EXO (de Belgique) a choisi notre île pour venir y faire une tournée ! Quel bonheur, de réécouter ces magnifiques chants qui n’ont pas vieilli pour un sou ! Voici la chanson « Je connais le Créateur du monde » : elle met du baume au cœur. Essaie !

D’ailleurs, dans mon dernier article, je t’avais promis un éclairage sur ce que fait l’équipe de soins palliatifs ici, à Mercy Ships. Donc, avec les aumôniers, nous rencontrons tous les vendredis matin cette belle équipe de 4 personnes : une infirmière anglaise, une médecin d’Alaska (elle ressemble vraiment à une inuite !) et deux « day-crew » malgaches (un homme et une femme). Ensemble, ils prennent en charge les patients à qui nous avons dû refuser l’opération.

La première chose qui m’a frappée quand je les ai rencontrés, c’était leur manière si douce de s’exprimer, presque en chuchotant ! J’ai vraiment dû tendre l’oreille pour comprendre ce qu’ils disaient. (Peut-être c’était juste le contraste avec tous les profils de « grande gueule » qu’on a sur le bateau… ?) :-) En y réfléchissant, je me suis dit qu’il était évident qu’ils étaient faits pour accompagner des gens souffrants ! Si j’étais mourante, je voudrais avoir affaire à quelqu’un qui sache me parler de façon toute douce, en tout cas !

La deuxième chose qui m’a marquée était leur joie de vivre et leur optimisme à couper le souffle. Une de leurs phrases qu’ils répètent souvent est : « Chaque jour est tellement beau ! » Quand on les entend parler de leurs patients, il y a une lumière et un sourire dans leurs yeux que je n’ai rencontrés nulle part ailleurs. Moi qui m’attendais à entendre des choses déprimantes, je suis surprise à me régaler de leurs magnifiques récits de vie !

Il y a un mois par exemple, il y avait un certain Monsieur Abel dont la tumeur au visage était si développée qu’elle atteignait son cerveau à l’arrière du crâne. Aucun chirurgien n’aurait pu l’enlever sans risquer la vie de ce patient. Au lieu de le renvoyer tout de suite dans son village, l’équipe des soins palliatifs l’a raccompagné au « Hope Center » (cette extension de notre hôpital en ville), l’a rencontré à plusieurs reprises et a cherché à trouver des solutions pour lui rendre sa fin de vie le plus agréable possible. Lorsqu’ils lui ont posé la question qu’est-ce qui pourrait le soulager dans cette épreuve, Monsieur Abel a répondu tout naturellement qu’il aimerait bien avoir un cochon. (Oui, tu as le droit de sourire. Nous avons tous souri aussi, en entendant l’histoire !) Apparemment, il avait été éleveur de cochons dans le passé, mais n’avait plus eu les moyens de continuer cette activité. La tumeur appuyant sur son nerf optique, ce vieux monsieur était totalement aveugle. Il a cependant entendu quelqu’un jouer de la guitare et a exprimé le désir d’en jouer également. Il a bluffé tout le monde en jouant un morceau magnifique, et voici qu’un projet de guitare à offrir à Monsieur Abel est venu s’ajouter à celui du cochon. Mercy Ships n’a pas de budget officiel pour ce genre de situation, mais l’infirmière Katy s’est sentie poussée à en parler à son groupe d’amis qui la suivent. Immédiatement, une amie roumaine lui a répondu qu’avec leur petite église, ils avaient à cœur de prendre en charge ces frais. Ainsi, avec les 400.- dollars récoltés dans un petit village perdu en Roumanie, Monsieur Abel à Madagascar a pu être rapatrié auprès de sa famille avec une guitare, un cochon et de quoi construire un abri et un petit parc pour ce dernier. Le village étant trop éloigné pour aller lui rendre visite, l’équipe des soins palliatifs prend de ses nouvelles régulièrement par téléphone. Apparemment, au dernier coup de fil, il leur a chanté une chanson et joué de la guitare !

Un autre cas, plus proche d’ici, était celui de Cristo, un jeune homme de 20 ans qui était paralysé. Mercy Ships a été mis en contact avec lui par un organisme qui s’appelle « Help Madagascar » (il n’était donc pas un de nos « potentiels patients »).

La première fois que l’équipe des soins palliatifs s’est rendu chez lui, ils ont été écœurés de trouver un quasi-cadavre, couvert d’escarres, étendu sur une petite natte, à même le sol. Ils ont appris les circonstances tragiques qui se sont abattues sur ce jeune : lors de la fête nationale de Madagascar (le 26 juin) en 2022, Cristo s’est fait heurter par une voiture et s’est retrouvé paraplégique depuis. N’ayant plus aucun goût à rien, il a cessé de manger – et même lorsqu’il essayait d’avaler la moindre bouchée, son corps n’arrivait plus à l’assimiler et il finissait par vomir. La seule nourriture qui lui faisait envie, c’était du yoghourt, mais la maman se désolait de ne pas pouvoir lui en payer. Veuve depuis la naissance de leur 7e enfant, la brave femme donnait tout pour la survie de leur famille, mais sans réussir à joindre les deux bouts. L’équipe de soins palliatifs lui a demandé si elle voyait un moyen d’augmenter ses revenus. Elle a tout de suite dit qu’avec une machine à coudre, elle arriverait à se faire plus d’argent. Le besoin le plus urgent pour Cristo était un vrai matelas ainsi que des bandes collantes anti-mouches, pour éviter que les insectes pullulent sur ses plaies. Lors de la visite suivante, l’équipe a pu apporter machine à coudre, matelas et bandes anti-mouches, ainsi que des draps propres en suffisance.  Ils ont ensuite appris aux frères les gestes pour laver Cristo deux fois par jour, ainsi que l’importance de laver les draps régulièrement. Quant à la question des yoghourts, Herman (le malgache de l’équipe) a eu l’idée de génie de leur apprendre à en faire eux-mêmes, et de leur suggérer à en vendre, afin d’assurer un revenu supplémentaire !

Nous avons reçu samedi dernier le triste message de Katie nous annonçant que Cristo était décédé dans la matinée. Cela nous a rappelé la triste réalité que des soins palliatifs servaient quand-même à accompagner des personnes vers la mort. Dans le cas de Cristo, un minimum de dignité et de confort a pu être apporté au milieu de la détresse. Nous avons été touchés aussi d’apprendre que le frère aîné avait eu un rêve la nuit avant le décès, où il voyait Cristo rejoindre leur cher papa.

Comme le disait si joliment Herman : « On va tous passer par la mort un jour. Certains y passent plus vite que d’autres. Les personnes que nous accompagnons sont au courant qu’ils y passeront un peu plus tôt que la plupart des gens, mais ce n’est pas un drame en soi. L’essentiel est de finir bien. »
Je suis tellement reconnaissante pour ces magnifiques leçons de vie que j’apprends ici, et encore plus reconnaissante pour ces gens comme Katie et Herman, qui mettent leur vie au service des plus vulnérables, afin de leur apporter de l’espoir et de la joie dans leur dernière ligne droite sur Terre !

 PS : Pour des raisons évidentes, je ne peux pas partager des photos des patients. En revanche, si cela t’intéresse, tu trouveras de magnifiques vidéos de vies transformées sur le site de Mercy Ships. Celle-ci par exemple avait été tournée en 2020 au Sénégal et raconte l’histoire de Houleye (1.46 min).

En rose : la fenêtre de notre cabine !